Présentation de
Francesca Machado

 

 

> texte original (italien)

 


Dispositif de Pédagogie de projet : intervention/insertion

Le DPP : i/i

Dispositif conçu et réalisé par Annie Couëdel, le dispositif de pédagogie de projet (DPP :i/i) présenté ci-dessous s'inscrit dans une dimension résolument politique. Il trouve ses racines dans un contexte politique – le Centre Universitaire Expérimental de Vincennes-Paris 8 – et se réalise grâce à des auteurs-acteurs, des étudiants dont les interventions sociales se situent hors de l'espace fermé du cours.

Ce dispositif a été conçu par A. Couëdel, enseignante, et par ses disciples, dans les années 70, pour créer un lieu de parole où les connaissances des uns et des autres pourraient donner lieu à des interactions, des formations et des expérimentations, et faire naître de nouveaux parcours. En réalité, il s'agissait d'inventer une pédagogie de l'action, développant une conscience critique, invitant à l'innovation, à la recherche et à la création. Il s'agit d'un dispositif de recherche/action participative, dont le sens, si l'on emprunte l'expression de Paulo Freire, est de : "transformer le monde en se transformant soi-même." C'est à travers des interactions avec le monde que s'acquiert le langage, condition sine qua non pour s'insérer et agir.

Ce dispositif est conçu sur une architecture spécifique, qui combine la participation des groupes-projet (GP), petits groupes de 4 à 6 personnes, et du grand groupe (GG). L'objectif du grand groupe en session plénière est de servir de cadre aux synthèses que développent les groupes projets, à leur mise en valeur, à la pratique du débat sur les questions d'actualité. La ritualisation GG/GP/GG sert de repère spatio-temporel et joue un rôle essentiel dans la structuration de l'ensemble.Pour que le dispositif se mette en place, que les groupes-projet se stabilisent et s'autogèrent, deux à trois séances sont nécessaires. Voyons comment se déroule la première séance plénière du semestre : elle est consacrée à l’explicitation du dispositif et sa manière de fonctionner, de la nature des projets à entreprendre et des règles sociales minimales à respecter. Les tables sont disposées en cercle. L'enseignant et les « anciens» présentent les projets qu’ils ont réalisés ou qui sont en cours de réalisation. Puis les participants se disposent en sous-groupes aléatoirement, pour faire émerger de nouveaux projets. Après deux heures de discussion, on se retrouve de nouveau tous ensemble dans le grand groupe pour se présenter, partager les idées et les projets imaginés ou rêvés. Cette première séance est cruciale dans la mise en place du dispositif.

Durant tout le semestre, la répétition du rituel GG/GP/GG sera respectée. La première heure est réservée au forum (GG). C'est un moment apprécié par les participants parce qu'ils peuvent prendre la parole en public, défendre leur point de vue, et parce que l'information circule d'une manière formidable comme la confrontation des idées. Souvent, il est difficile d'interrompre le forum. Après cela, les groupes-projets ont à leur disposition trois heures dans lesquelles ils peuvent travailler où cela leur convient, à la cafeteria, ou à l'extérieur si c'est indispensable pour leur projet. Les GP se retrouvent ensuite  avec l'enseignant dans le plenum, en fin de journée, pour faire une synthèse de ce qui s'est passé dans leur groupe, expliquer comment avance leur projet, et les difficultés rencontrées. Comme on l'a déjà dit, cette ritualisation GG/GP/GG est indispensable pour la cohésion du GG et des GP et a un rôle essentiel dans la structuration de cet ensemble complexe.“Tout projet éducatif exprime nécessairement une position politique et suppose des choix, des options, la traduction d’une vision du monde, et, par conséquent d’un projet de société (…). Le pédagogique est indissociable du politique” (1). C'est dans ce cadre que sont mises à l'épreuve du sens les règles de la morale sociale, comme l'écoute, le respect de l'autre et de la diversité, la coopération, la ponctualité, la persévérance, la responsabilité personnelle et collective sans lesquelles la réalisation des projets est condamnée à l'échec. Si l'on veut caractériser ce dispositif, nous pouvons utiliser l'expression d'un des étudiants du cours : « Liberté guidée ».

Les projets

Le projet est l'expression de l'initiative prise par les participants eux-mêmes sous l'impulsion de l’enseignant qui cherche à limiter le plus possible ses propres interférences dans le processus. Ce sont les étudiants qui choisissent et définissent eux-mêmes leur projet en se conformant volontiers à la devise du cours : « Soyons réalistes, entreprenons l'impossible ». Les étudiants se constituent en groupes-projet qui travailleront de manière autonome jusqu'à la fin du semestre. Les réunions dans le GG permettent de faire le point, d'analyser les problèmes rencontrés, les stratégies d'intervention utilisées, les raisons d'un échec ou de la réussite. Le GG se réunit au début et à la fin de la journée (2).

Les étudiants tiennent un journal de bord écrit « au fil de la plume » qu'ils remettent chaque semaine, et qui est destinée seulement à l'enseignant. Ce journal leur permet de réfléchir sur leur pratique, le rôle qu'ils ont dans le groupe, leur permet d'analyser les raisons qui ralentissent ou font avancer le projet. De l'autre côté, le journal donne à l'enseignant des informations précieuses sur l'évolution des projets et permet d'avoir une évaluation globale sur ce qui arrive dans les groupes et d'intervenir si la nécessité s’en fait réellement sentir.

C'est à travers le groupe qu'on apprend et qu'on met en pratique les règles de la morale sociale. Quand commencent les ateliers de « conception et réalisation de projets », au début du semestre, sont énoncés les principes déjà cités ci-dessus que les étudiants devront respecter. Les étudiants s'y conformeront progressivement puisque ces principes, ces règles seront mises à l'épreuve du sens : quand un groupe s'est engagé dans la réalisation d'un projet commun, l'absentéisme, le manque d'attention à la parole de l'autre, le non respect des engagements peuvent en compromettre l'issue. Les règles ne fonctionnent plus comme des formules magiques mais comme des valeurs démocratiques qui structurent et garantissent le pouvoir faire ensemble. Durant le cours théorique Dispositif de Pédagogie de Projet : intervention / insertion : Acquisition d’une langue seconde qui précède les ateliers, les étudiants analysent ce qui se produit dans leur groupe-projet et dans les séances plénières. Ils travaillent sur des textes qui apportent un éclairage théorique sur le dispositif. Ces textes traitent de psychologie, principalement Bruner, de sociologie avec Bourdieu, de psychologie sociale – Clément et Hamers – de linguistique avec Klein, mais aussi de textes qui abordent l'interculturalité, l'anthropologie du projet (Boutinet), les théories de l'apprentissage, principalement le sociocontructivisme avec Vygotsky.

Le groupe de travail et d'échange a comme principal objectif l'étude du langage dans le contexte d'une pratique sociale libre et critique. C'est à travers l'éducation comme acte politique et la « conscientisation » que l'homme pourra transformer la réalité sa propre réalité. Comme dit à juste titre Paulo Freire, « La parole est toujours l'unité dialectique entre l'action et la réflexion, entre la pratique et la théorie, l'éducateur (l'animateur, n.d.r.) n'est  pas au service d'une 'science neutre' et d'une pédagogie apolitique, mais d'une praxis pour la transformation sociale ».

Annie Couëdel termine un de ses articles en écrivant « Ce qui frappe, c’est l’extraordinaire prolifération de projets à travers le temps et les liens qui se sont tissés à travers le monde. J’ai parlé ailleurs du rhizome au sens où l’entend Gilles Deleuze. Ce que nous mettons en place se développe de façon imprévisible et souterraine et donne des prolongements et des resurgissements inattendus, ici et là, en France et ailleurs. Qui aurait imaginé que ce dispositif engendrerait un jour une ONG ? Restons fidèles à notre devise : Soyons réalistes, entreprenons l’impossible ! ».

Francesca Machado
(traduit de l’italien
par Maurice Courtois)

1. Voir Ardoino, J. (1977) Education et politique, Bordas ; Couëdel, A. (1981) “Vivre la langue. De la communication à la langue”, Champs éducatifs n°3. Actes du 2 ème colloque international organisé par le G.R.A.L.,Groupe de recherche sur l’acquisition des Langues, de Paris 25-27 avril 1980.
2. Les séances durent six heures consécutives une fois par semaine dans un semestre de 13 semaines

 

 

“On ne s’étonnera pas que ce dispositif de projets conçu tout d’abord pour l’acquisition d’une langue seconde soit transposable à tout domaine de formation. Le projet contraint, en lien avec le collectif, à inventer des solutions à des problèmes dans des situations toujours imprévisibles et complexes en grandeur réelle. A travers l’interaction d’une pluralité de paramètres, tous aussi essentiels les uns que les autres, il permet de penser la complexité et de gérer de façon prioritaire non plus un seul mais une pluralité de paramètres à la fois. Il est le lieu même d’apprentissage.”

A. C.

 

Texte librement adapté à partir de deux articles en français :
- Entretien d’Annie Couëdel avec Sabrina Ben Karich, étudiante en Master I de Sciences de l’éducation, sur
le Dispositif de Pédagogie de Projet : intervention/insertion (DPP : i/i)
- Une pédagogie interculturelle de transformation sociale, Nicole Blondeau et Annie Couëdel,
Maîtres de conférences en Sciences de l’éducation Université de Paris 8